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CYRIL COGNÉRAS écolo-régionaliste limousin
17 juin 2008

Lettre d'Evo Morales aux députés européens

La "directive retour" est une directive de la honte par Evo Morales  12/06/2008
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Le président de la République de Bolivie, Evo Morales, irrité par la "directive retour" de l'Union
Européenne qui durcit les conditions faites aux immigrés illégaux, envisage de bloquer les
négociations commerciales entre l'Europe et la Communauté andine, et menace d'imposer des
restrictions de visas aux voyageurs Européens. Il explique sa position dans cette lettre ouverte qu'il a
adressée aux eurodéputés :

«Jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale, l'Europe était un continent d'émigrants. Des dizaines
de millions d'Européens partirent aux Amériques pour coloniser, échapper aux famines, aux crises
financières, aux guerres ou aux totalitarismes et à la persécution des minorités ethniques.
Aujourd'hui, je suis avec préoccupation le processus de la dite "directive retour". Ce texte, validé le 5
juin dernier par les ministres de l'Intérieur des 27 pays de l'Union européenne, doit être approuvé le
18 juin par le Parlement européen. Je percois qu'il durcit de manière drastique les conditions de
détention et d'expulsion des migrants sans papiers, quelle qu'ait été leur temps de séjour dans les
pays européens, leur situation de travail, leurs liens familiaux, leur volonté et le succès de leur
intégration.
Les Européens sont arrivés dans les pays d'Amérique latine et d'Amérique du Nord, en masse, sans
visa ni conditions imposées par les autorités. Ils furent toujours bienvenus, et le demeurent, dans
nos pays du continent américain, qui absorbèrent alors la misère économique européenne et ses
crises politiques. Ils vinrent sur notre continent en exploiter les richesses et les transférer en Europe,
avec un coût très élevé pour les peuples premiers de l'Amérique. Comme par exemple dans le cas de
notre Cerro Rico de Potosi et de ses fabuleuses mines qui donnèrent sa masse monétaire au
continent européen entre le XVIème et le XIXème siècle. Les personnes, les biens, les droits des
migrants européens furent toujours respectés.
Aujourd'hui, l'Union européenne est la principale destination des migrants du monde, conséquence
de son image positive d'espace de prospérité et de libertés publiques. L'immense majorité des
migrants viennent dans l'Union européenne pour contribuer à cette prospérité, non pour en profiter.
Ils occupent les emplois de travaux publics, dans la construction, les services aux personnes et dans
les hôpitaux, que ne peuvent ou ne veulent occuper les Européens.
Ils contribuent au dynamisme démographique du continent européen, à maintenir la relation entre
actifs et inactifs qui rend possible les généreux systèmes de solidarité sociale et dynamisent le
marché interne et la cohésion sociale. Les migrants offrent une solution aux problèmes
démographiques et financiers de l'UE.
Pour nous, nos émigrants représentent l'aide au développement que les Européens ne nous donnent
pas - vu que peu de pays atteignent réellement l'objectif minimum de 0,7% du PIB d'aide au
développement. L'Amérique latine a recu, en 2006, 68 milliards de dollars de transferts financiers de
ses émigrés, soit plus que le total des investissements étrangers dans nos pays.
Au niveau mondial, ces transferts atteignent 300 milliards de dollars, qui dépassent les 104 milliards
de dollars octroyés au nom de l'aide au développement. Mon propre pays, la Bolivie, a recu plus de
10% de son PIB en transferts de fond des migrants (1,1 milliards de dollars), soit un tiers de nos
exportations annuelles de gaz naturel.
Il apparaît que les flux de migration sont bénéfiques pour les Européens et, de manière marginale,
aussi pour nous du Tiers-Monde, bien que nous perdions des millions de personnes qualifiées en
lesquelles, d'une manière ou d'une autre, nos États, bien que pauvres, ont investi des ressources
humaines et financières.
Il est regrettable que le projet de "directive retour" complique terriblement cette réalité. Si nous
concevons que chaque État ou groupe d'États puisse définir ses politiques migratoires en toute
souveraineté, nous ne pouvons accepter que les droits fondamentaux des personnes soient déniés à
nos compatriotes et à nos frères latinoaméricains.
La directive retour prévoit la possibilité d'un enfermement des migrants sans papier jusqu'à 18 mois
avant leur expulsion - ou "éloignement" selon le terme de la directive. 18 mois ! Sans procès ni
justice ! Tel qu'il est, le projet de directive viole clairement les articles 2, 3, 5, 6, 7, 8 et 9 de la
Déclaration universelle des Droits de l'Homme de 1948. Et en particulier l'article 13 qui énonce : "1.
Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. 2.
Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays."
Et, pire que tout, il existe la possibilité d'emprisonner des mères de familles et des mineurs, sans
prendre en compte leur situation familiale ou scolaire, dans ces centres de rétention où nous savons
que surviennent des dépressions, des grèves de la faim, des suicides.
Comment pouvons-nous accepter sans réagir que soient concentrés dans ces camps nos
compatriotes et frères latinoaméricains sans papier, dont l'immense majorité travaille et s'intègre
depuis des années ? De quel côté est aujourd'hui le devoir d'ingérence humanitaire ? Où est la
"liberté de circuler", la protection contre les emprisonnements arbitraires ?
Parallèlement, l'Union européenne tente de convainre la Communauté Andine des Nations (Bolivie,
Colombie, Équateur, Pérou) de signer un "Accord d'association" qui inclue en son troisième pilier un
traité de libre-échange, de même nature et contenu que ceux qu'imposent les États-Unis. Nous
subissons une intense pression de la Commission européenne pour accepter des conditions de
profonde libéralisation pour le commerce, les services financiers, la propriété intellectuelle ou nos
services publics.
De plus, au nom de la "protection juridique", on nous reproche notre processus de nationalisation de
l'eau, du gaz et des télécommunications réalisés le Jour des travailleurs. Je demande, dans ce cas :
où est la "sécurité juridique" pour nos femmes, adolescents, enfants et travailleurs qui recherchent
un horizon meilleur en Europe ? Promouvoir d'un côté la liberté de circulation des marchandises et
des flux financiers, alors qu'en face nous voyons des emprisonnements sans jugement pour nos
frères qui ont essayé de circuler librement... Cela revient à nier les fondements de la liberté et des
droits démocratiques.
Dans ces conditions, si cette "directive retour" devait être approuvée, nous serions dans
l'impossibilité éthique d'approfondir les négociations avec l'Union européenne et nous nous
réservons le droit d'imposer aux citoyens européens les mêmes obligations de visas qui nous ont été
imposées le 1er avril 2007, selon le principe diplomatique de réciprocité. Nous ne l'avions pas exercé
jusqu'à maintenant, attendant justement des signaux positifs de l'UE.
Le monde, ses continents, ses océans, ses pôles, connaissent d'importantes difficultés : le
réchauffement global, la pollution, la disparition lente mais sûre des ressources énergétiques et de la
biodiversité alors qu'augmentent la faim et la misère dans tous les pays, fragilisant nos sociétés.
Faire des migrants, qu'ils soient sans papier ou non, les boucs émissaires de ces problèmes globaux,
n'est en rien une solution. Cela ne correspond à aucune réalité. Les problèmes de cohésion sociale
dont souffre l'Europe ne sont pas la faute des migrants, sinon le résultat du modèle de
développement imposé par le Nord, qui détruit la planète et démembre les sociétés des hommes.
Au nom du peuple de Bolivie, de tous mes frères du continent et des régions du monde comme le
Maghreb et les pays de l'Afrique, je fais appel à la conscience des dirigeants et députés européens,
des peuples, citoyens et militants d'Europe, pour que ne soit pas approuvée le texte de la "directive
retour".
Telle que nous la connaissons aujourd'hui, c'est une directive de la honte. J'appelle aussi l'Union
européenne à élaborer, dans les prochains mois, une politique migratoire respectueuse des droits de
l'Homme, qui permette le maintien de cette dynamique profitable pour les deux continents, qui
répare une fois pour toutes l'énorme dette historique, économique et écologique que les pays
d'Europe ont envers une grande partie du Tiers-Monde, et qui ferme définitivement les veines
toujours ouvertes de l'Amérique latine. Vous ne pouvez pas faillir aujourd'hui dans vos "politiques
d'intégration" comme vous avez échoué avec votre supposée "mission civilisatrice" du temps des
colonies.
Recevez tous, autorités, eurodéputés, camarades, un fraternel salut depuis la Bolivie. Et en
particulier notre solidarité envers tous les "clandestins".»

Evo Morales Ayma
Président de la République de Bolivie

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